Naufrage en Méditerranée : le verrou meurtrier des frontières européennes

L’édito d’Alexandra Schwartzbrod, dans Libération, 14 juin 2023

La mort de 79 migrants dans le Péloponnèse, ce mercredi, est une tragédie innommable, symbole déchirant d’une politique de non-accueil qui ne fonctionne pas en Europe.

Combien de temps encore allons-nous accepter que des enfants, des femmes et des hommes meurent noyés en essayant, à n’importe quel prix, de fuir la faim, la misère et la violence pour se réfugier en Europe ? Comment peut-on encore, en se regardant sans frémir dans une glace chaque matin, insister pour fermer à double tour les frontières de l’Europe en sachant que ce verrou pousse précisément les migrants à contourner l’obstacle et à emprunter les voies les plus périlleuses ? Comment peut-on décemment décider de réduire les moyens de sauvetage en mer en pensant que cela va dissuader les migrants de tenter la traversée ? Comment imaginer encore priver l’autre, l’étranger, d’une vie meilleure alors que nous sommes tous les produits de migrations passées et que nos ancêtres ont pour la plupart livré les mêmes batailles ? Comment peut-on encore empêcher des femmes et des hommes de venir travailler sur notre territoire alors que nous ne cessons de nous lamenter sur le manque de personnel dans les hôpitaux, les crèches, les écoles, les sociétés de transport, les restaurants, les boulangeries et on en passe ?

La tragédie du Péloponnèse est innommable : des centaines de personnes sur un simple bateau de pêche, à qui l’on avait demandé d’enlever leur gilet de sauvetage afin de pouvoir les tasser davantage, parties la peur au ventre de Syrie, d’Afghanistan et de Libye, sans alternative possible. Quand on repense aux cris d’orfraie poussés après le drame d’Annecy, la semaine dernière, aux Zemmour et autres Ciotti qui se sont empressés de faire d’un cas particulier une généralité pour mieux distiller la peur et faire prospérer leur petite entreprise de haine de l’étranger, on a honte pour eux. Il est plus que temps de changer notre logiciel, et si ce n’est pas pour des raisons humanitaires, au moins pour une question de bon sens : notre politique de non-accueil migratoire ne fonctionne pas. Elle ne dissuade pas les aspirants au départ vers l’Europe de tenter leur chance. Elle les tue.