Chaque année, les Conférences du Temple à Uzès proposent de traiter un thème qui sera abordé sous différents angles et par différentes conférenciers. En 2024, c’était l’Afrique. Le CCARU* a été sollicité pour participer à la conférence de M. Jérome Vignon**, Les migrations subsahariennes en Europe. Il nous a semblé essentiel de donner la parole à de jeunes migrants africains accueillis à Uzès. Deux guinéens, Alhoussein (18 ans) et Amadou (20 ans), ont accepté de venir témoigner de leur expérience devant une salle pleine. La forme était à définir. Elle s’est précisée au cours d’une visio-conférence entre ces deux jeunes et M. Vignon : après une rapide présentation de notre association, ils interviendraient d’abord, puis M. Vignon articulerait son propos à partir de là. Les garçons ont rédigé leur témoignage, le premier traitant de son parcours depuis la Guinée jusqu’à Nîmes, tandis que l’autre racontait les débuts de sa vie en France. L’un comme l’autre ont évoqué avec beaucoup de pudeur les nombreux écueils qu’ils ont dû affronter, mais aussi l’importance de l’aide apportée par les associations. Accompagnés par des bénévoles, leurs textes ont été revus pour les adapter au format de la conférence. Nous remercions vivement M. Vignon, pour la gentillesse et la qualité de ses échanges avec Alhoussein et Amadou. Il nous a semblé important d’en garder la trace et de le partager avec les amis et les soutiens du CCARU.Les voici, publiés avec l’accord d’Alhoussein et Amadou.
* CCARU : Comité Citoyen pour l’Accueil des Réfugiés en Uzège.
** Président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et de l’Observatoire national de la précarité énergétique, directeur à la Commission européenne chargé de la protection et intégration sociales et, de 2007 à 2016, président des Semaines sociales de France.
Je suis Amadou BANGOURA , j’ai 22ans. Je suis originaire de Guinée Conakry.
Je suis devant vous aujourd’hui pour vous parler de mon parcours, mais bien avant j’aimerais vous parler un peu du début de mon voyage.
J’ai quitté mon pays à l’âge de 15 ans et demi, à cause d’une histoire familiale : mes petites sœurs jumelles et moi nous avons passé une année entière sans aller à l’école, abandonnés par notre père.
Je n’avais jamais eu l’idée de quitter le pays. Mais finalement cette idée est venue par mon voisin, qui m’avait convaincu et rassuré pour quitter le pays avec lui. Après avoir pris ma décision avec lui, nous avons quitté la Guinée. Comme Alhoussain, nous avons pris la direction du Mali, deux jours après nous sommes arrivés au Niger, puis l’Algérie, le Maroc et l’Espagne. Le voyage fut très très difficile pour moi, la faim, je vois les gens mourir, des bagarres.
Une fois en Espagne, plus précisément à Barcelone, je me suis séparé d’avec mon voisin car moi je voulais venir en France. Ce fut une séparation très douloureuse, lui est resté en Espagne.
Après avoir quitté Barcelone, la première ville Française où j’ai mis les pieds a été Toulouse. C’est là que mon parcours en France commence.
A Toulouse, j’ai été guidé par des gens jusqu’à l’hôtel de police où j’ai présenté tous mes documents. Pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, puis j’ai été transféré à Nîmes et confié à l’aide sociale à l’enfance du Gard. J’avais l’ambition de reprendre mes études et je l’ai fait savoir à ma tutrice de l’époque ; mais elle n’a pas bien accueilli cette idée, je n’ai pas eu raison elle ne m’a pas entendu.
Quelques mois plus tard j’ai été transféré à Bagnols Sur Cèze puis confié à l’association Pluriels. Là aussi j’ai fait savoir à cette association que mon ambition était d’aller à l’école. Après quelques longues discutions, malheureusement je n’avais toujours pas raison. On m’a fait savoir qu’il fallait travailler tout de suite, une idée que je n’ai pas appréciée du tout.
Quelques jours plus tard, j’ai été inscrit à la Mission Locale de la ville, où des bénévoles nous donnaient des cours. J’ai été repéré par une dame qui m’a pris en entretien individuel ; nous avons longuement échangé et elle a très apprécié mon ambition ; elle était une ancienne professeure du lycée professionnel privé Ste Marie.
Le lendemain de notre entretien elle m’appelle et me dit que le directeur du lycée souhaite me rencontrer, j’ai directement répondu à l’invitation en compagnie de la dame. J’ai été très bien accueilli par le directeur qui avait l’air très heureux de me rencontrer et tout s’est très bien passé pour moi. C’est ainsi que cette dame m’a donné une chance dans ma vie. J’ai été inscrit en baccalauréat professionnel Travaux publics.
Après avoir effectué une très bonne seconde pro, et une bonne première pro, sauf à la fin d’année ou j’ai subi une opération au niveau du ménisque de mon genou droit, ce qui m’a fait rater plein de cours. Mais malgré tout j’ai décroché mon titre de BEP (Brevet d’Études Professionnelles).
C’est ainsi que je pris la décision de redoubler la classe de première-pro afin d’être prêt pour le bac en terminale. Après avoir redoublé, des moments très sombres m’arrivent en fin d’année, j’étais vraiment dans une dépression totale. Et c’est par le biais d’une dame que je rencontre un psychologue qui m’a beaucoup écouté. Il m’a vraiment aidé, et continue à me soutenir dans mes projets jusqu’à aujourd’hui.
Et puis un jour, en plein cours, je reçois un message de mon tuteur à l’époque me disant qu’il a reçu un courrier pour moi : la Préfecture du Gard m’adressait une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Cette nouvelle m’a affaibli, fait perdre espoir, m’a beaucoup attristé, démotivé.
Dans la même semaine mon avocate conseillée par une assistante sociale a contesté l’OQTF.
Quelques mois après on a été reçus par le tribunal administratif de Nîmes, et malheureusement le résultat n’a pas été en ma faveur. Je me suis remotivé et encouragé par mon avocate. Elle lança le recours auprès de la cour d’appel de Marseille.
Après avoir obtenu un résultat défavorable au tribunal de Nîmes, j’ai été mis à la porte de l’association Pluriels. J’ai été soutenu par des amis, par le 115 d’Avignon, et par plusieurs bénévoles de Nîmes et d’Uzès, qui m’ont d’ailleurs trouvé un lieu d’hébergement auprès d’un ami, Jean-Pierre à Lédignan, où je suis resté pendant 9 mois. Et pendant mon recours à Marseille j’ai fait du bénévolat à Nîmes, j’ai rencontré plein de bonnes gens et j’ai passé de très bons moments à leurs côtés.
11 mois plus tard je reçois mon premier rendez-vous à la cour d’appel de Marseille en compagnie de mon avocat et de Georges. Un mois plus tard nous recevons un courrier de la cour d’appel de reporter l’audience à nouveau.
Trois mois plus tard je passe l’audience et j’y suis allé seul. J’étais motivé et déterminé, J’ai été seul à parler avec les juges pendant une demi-heure, ils m’ont écouté et j’ai pu leur dire qu’avec mon voyage et mon parcours c’était normal d’avoir un coup de dépression.
15 jours après j’ai reçu le résultat favorable de la part de cour d’appel. Dans quel état j’étais ? j’étais triste en pensant à mes moments de galère et heureux à la fois parce que je suis dans une situation légale, je n’ai plus peur.
La Préfecture me délivra un titre de séjour d’une durée d’un an. Je suis retourné à Bagnols Sur Cèze, j’ai été hébergé par un ami. J’ai pris contact avec ma conseillère de Mission locale de la ville, qui m’a inscrit sur un chantier d’insertion chez “Pass muraille”. J’y suis resté pendant 7 mois, et le fait d’intégrer ce chantier m’a fait tellement de bien, car ça m’a donné confiance en moi et aussi j’ai acquis plein d’expériences sur plusieurs métiers qu’on a fait là-bas. Et par le biais de ma tutrice de Pass muraille j’ai décroché un contrat de professionnalisation à Nîmes, avec l’entreprise Razel Bec. C’est ainsi je me suis installé à Nîmes à nouveau jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement mon contrat avec Razel Bec n’a pas pu aller jusqu’à son terme car je n’ai pas de permis de conduire.
A présent j’ai eu mon code de la route, je suis très bien suivi par la Mission locale de Nîmes, en contrat d’engagement jeune, je travaille en intérim et aussi je fais quelques travaux en dehors d’intérim. J’ai un titre de séjour pluriannuel et je continue toujours à faire du bénévolat. Je dois intégrer une alternance en baccalauréat Génie civil à Montpellier au lycée professionnel Léonard de Vinci en septembre prochain, je serai en apprentissage avec l’entreprise Cofex Méditerranée à Nîmes.
Je profite aujourd’hui que j’ai la parole pour remercier tous les professionnels et les bénévoles qui m’ont aidé et continuent à m’aider.
Je m’appelle Alhoussain BARRY, j’ai 18 ans, je suis Guinéen et je suis arrivé en France en décembre 2021.
Je vais vous parler un peu de mon voyage de la Guinée jusqu’ici en France. Je suis parti de Guinée en 2021, j’avais 15 ans.
J’ai en quelque sorte décidé de voyager sans savoir trop ce qui m’attendait. Un ami plus âgé que moi, il s’appelle Mamadou DIALLO, une sorte de grand frère, m’a proposé de partir avec lui en Europe, je lui ai répondu que c’était impossible, parce que mon père n’est pas riche, il ne peut pas m’acheter le visa ni le billet d’avion. Par contre lui sa famille a de l’argent. Son père et sa petite sœur sont aux États Unis, il voulait les rejoindre, mais son père n’a pas accepté. Alors Mamadou a décidé venir en Europe. Comme on se connaissait dans le quartier, il me considérait comme son petit frère et il savait que je n’avais pas les moyens de partir et que j’étais mineur, alors il m’a proposé de partir avec lui, et de payer tous les frais du voyage. Il m’en a décrit les étapes. Il m’a laissé une journée pour réfléchir. J’ai pensé à ma famille, mon père est marchand il ne gagne pas assez d’argent, ma mère est femme au foyer. Moi je suis le fils aîné et j’ai une petite sœur, je suis l’avenir de la famille. Et, en Guinée ça n’allait pas du tout à ce moment. Il y avait des problèmes entre les différentes ethnies, entre opposants et gouvernement, entre les forces de l’ordre et les militants, ou plutôt les forces de désordre. J’ai beaucoup réfléchi. Et j’ai fini par accepter sa proposition.
Le lendemain on a pris la route pour le Mali Bamako, une fois arrivés là-bas à la gare routière, Mamadou nous a acheté à manger et des affaires de toilette, et on a passé la nuit dans la gare. Le lendemain Mamadou s’est renseigné sur le bus à prendre pour le Niger. On a pris le bus dans l’après-midi.
Arrivés au Niger je lui ai dit que je voulais appeler ma famille, il a acheté une carte SIM, j’ai appelé ma mère. Je n’ai pas osé appeler mon père. Je ne leur avais rien dit, ils devaient être inquiets d’être sans nouvelles de moi depuis 3 jours. J’ai expliqué la situation à ma mère et les raisons pour lesquelles j’étais parti. J’ai appelé mon père quelques jour après.
On est restés au Niger 5 jours avec des passagers qui voulaient aussi traverser. C’est là-bas que la galère a commencé, il fallait traverser le désert. Un soir les chauffeurs sont venus nous chercher pour nous conduire à la frontière de l’Algérie, on est montés dans des voitures pick-up, on a roulé une journée avant d’arriver près de la frontière du pays. Les chauffeurs nous ont laissés à 30 kilomètres. On a marché pour passer de l’autre côté. Avec mon frère, on est restés en Algérie quelques semaines avant d’aller en Libye.
On a traversé le désert comme on l’avait fait en quittant le Niger, sauf que c’était encore pire. Parce que quand les Libyens attrapent les noirs ils les enferment dans des maisons abandonnées dans le désert. Pour sortir il faut payer de l’argent.
On est restés un mois et demi en Libye, on dormait dans des maisons abandonnées, éloignées de la ville. Moi je ne sortais pas parce qu’ils agressent les noirs là-bas. C’est les adultes qui sortaient pour aller acheter à manger ou pour aller chercher du travail.
Mamadou nous a payé la traversée. Un soir les Arabes sont venus pour nous amener à la mer. C’était en septembre 2021, ils étaient armés.
On était environ 80 personnes. Ils nous ont fait monter dans un bateau gonflable et le capitaine a démarré, on a navigué 2 jours en mer. Il n’y avait plus de nourriture, ni d’eau. Le bateau s’est percé. L’eau a commencé à rentrer. Après quelques heures le moteur s’est arrêté, j’étais à côté de mon ami. On avait peur, sans savoir ce qui allait se passer. On est restés comme ça à moitié morts longtemps avant que les secours arrivent, 3 personnes étaient déjà mortes. Quand les secours sont arrivés, ils ont séparé les mineurs et les majeurs. Du coup ils m’ont séparé de mon frère. Je suis resté seul avec les autres mineurs. Ils nous ont amenés au camp de Lampeduza où on est restés plus de 2 semaines avant qu’ils nous emmènent dans un camp de la Croix Rouge. Pendant tout ce temps je me renseignais sur mon ami Mamadou, j’ai demandé aux personnes qui travaillaient là-bas, ils m’ont répondu qu’ils ne s’occupaient pas des majeurs. Je n’ai plus eu de nouvelles et depuis je ne l’ai jamais revu.
Je suis resté en Italie 2 mois avant de venir France. J’ai quitté l’Italie parce qu’on ne se comprenait pas avec les éducateurs, ils ne parlaient pas français et moi je ne parle pas l’italien. Alors, avec un ami guinéen mineur on a décidé de venir en France au moins je parle français. On a pris la route pour la France.
Je suis arrivé à Nice puis de Nice à Marseille, en train. A la gare j’ai rencontré une femme bénévole qui m’a dit d’aller à la station de police où les différentes associations viennent chercher les mineurs non accompagnés. On m’a emmené passer la nuit dans un foyer. Le monsieur qui gère le foyer a conseillé à ceux qui avaient des extraits de naissance sur eux d’aller à Nîmes, parce qu’il n’y avait pas assez de place dans ce foyer marseillais. Alors je suis venu à Nîmes où j’ai rencontré Muriel, une femme qui gérait un foyer. Cette femme m’a accompagné au Département. J’ai trouvé des jeunes là-bas. Au Département ils ont examiné nos documents et ils nous ont donné une carte pour aller à Acotel où ils logent les mineurs en attendant leurs évaluations. J’ai passé 2 semaines avant d’être évalué. Après qu’ils aient confirmé que j’étais mineur, ils m’ont transféré à Uzès dans l’association Pluriels, chargée des MNA par l’Aide sociale à l’enfance. Là, j’ai eu la chance de rencontrer des éducateurs qui m’ont beaucoup aidé et qui m’aident toujours. Des bénévoles qui m’ont donné des cours de rattrapage dans toutes les matières, l’association CCARU qui est là pour aider les étrangers dans tous les domaines et m’ont proposé le parrainage.
Actuellement je suis en contrat d’apprentissage CAP à Nîmes dans une entreprise d’électricité industrielle qui s’appelle SOBELEC.
Je remercie mon Patron Dominique BEILLOT pour sa confiance, ses encouragements et sa compréhension envers moi.
CONCLUSION
Cette année je vais passer mon diplôme CAP. Dans l’avenir je souhaite faire un BP, devenir un bon professionnel, me marier et avoir des enfants.
Je remercie toutes les personnes qui m’ont aidé de près et de loin et qui continuent toujours. Je sais que sans eux, peut-être je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Je remercie les conférences du Temple qui nous ont permis de nous exprimer devant vous.
Enfin je remercie la France, le pays des Droits de l’Homme, qui m’a accueilli. J’espère accomplir de grandes choses ici.