Deux jeunes Africains témoignent, lors d’une conférence au temple d’Uzès  le 21 avril 2024

Chaque année, les Conférences du Temple à Uzès proposent de traiter un thème qui sera abordé sous différents angles et par différentes conférenciers. En 2024, c’était l’Afrique. Le CCARU* a été sollicité pour participer à la conférence de M. Jérome Vignon**, Les migrations subsahariennes en Europe. Il nous a semblé essentiel de donner la parole à de jeunes migrants africains accueillis à Uzès. Deux guinéens, Alhoussein (18 ans) et Amadou (20 ans), ont accepté de venir témoigner de leur expérience devant une salle pleine. La forme était à définir. Elle s’est précisée au cours d’une visio-conférence entre ces deux jeunes et M. Vignon : après une rapide présentation de notre association, ils interviendraient d’abord, puis M. Vignon articulerait son propos à partir de là. Les garçons ont rédigé leur témoignage, le premier traitant de son parcours depuis la Guinée jusqu’à Nîmes, tandis que l’autre racontait les débuts de sa vie en France. L’un comme l’autre ont évoqué avec beaucoup de pudeur les nombreux écueils qu’ils ont dû affronter, mais aussi l’importance de l’aide apportée par les associations. Accompagnés par des bénévoles, leurs textes ont été revus pour les adapter au format de la conférence. Nous remercions vivement M. Vignon, pour la gentillesse et la qualité de ses échanges avec Alhoussein et Amadou. Il nous a semblé important d’en garder la trace et de le partager avec les amis et les soutiens du CCARU.Les voici, publiés avec l’accord d’Alhoussein et Amadou.

* CCARU : Comité Citoyen pour l’Accueil des Réfugiés en Uzège. 

** Président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et de l’Observatoire national de la précarité énergétique, directeur à la Commission européenne chargé de la protection et intégration sociales et, de 2007 à 2016, président des Semaines sociales de France. 

Je suis Amadou BANGOURA , j’ai 22ans. Je suis originaire de Guinée Conakry.

Je suis devant vous aujourd’hui pour vous parler de mon parcours, mais bien avant j’aimerais vous parler un peu du début de mon voyage.

Je m’appelle Alhoussain BARRY, j’ai 18 ans, je suis Guinéen et je suis arrivé en France en décembre 2021.
Je vais vous parler un peu de mon voyage de la Guinée jusqu’ici en France. Je suis parti de Guinée en 2021, j’avais 15 ans.

J’ai en quelque sorte décidé de voyager sans savoir trop ce qui m’attendait. Un ami plus âgé que moi, il s’appelle Mamadou DIALLO, une sorte de grand frère, m’a proposé de partir avec lui en Europe, je lui ai répondu que c’était impossible, parce que mon père n’est pas riche, il ne peut pas m’acheter le visa ni le billet d’avion. Par contre lui sa famille a de l’argent. Son père et sa petite sœur sont aux États Unis, il voulait les rejoindre, mais son père n’a pas accepté. Alors Mamadou a décidé venir en Europe. Comme on se connaissait dans le quartier, il me considérait comme son petit frère et il savait que je n’avais pas les moyens de partir et que j’étais mineur, alors il m’a proposé de partir avec lui, et de payer tous les frais du voyage. Il m’en a décrit les étapes. Il m’a laissé une journée pour réfléchir. J’ai pensé à ma famille, mon père est marchand il ne gagne pas assez d’argent, ma mère est femme au foyer. Moi je suis le fils aîné et j’ai une petite sœur, je suis l’avenir de la famille. Et, en Guinée ça n’allait pas du tout à ce moment. Il y avait des problèmes entre les différentes ethnies, entre opposants et gouvernement, entre les forces de l’ordre et les militants, ou plutôt les forces de désordre. J’ai beaucoup réfléchi. Et j’ai fini par accepter sa proposition.

Le lendemain on a pris la route pour le Mali Bamako, une fois arrivés là-bas à la gare routière, Mamadou nous a acheté à manger et des affaires de toilette, et on a passé la nuit dans la gare. Le lendemain Mamadou s’est renseigné sur le bus à prendre pour le Niger. On a pris le bus dans l’après-midi.

Arrivés au Niger je lui ai dit que je voulais appeler ma famille, il a acheté une carte SIM, j’ai appelé ma mère. Je n’ai pas osé appeler mon père. Je ne leur avais rien dit, ils devaient être inquiets d’être sans nouvelles de moi depuis 3 jours. J’ai expliqué la situation à ma mère et les raisons pour lesquelles j’étais parti. J’ai appelé mon père quelques jour après.

On est restés au Niger 5 jours avec des passagers qui voulaient aussi traverser. C’est là-bas que la galère a commencé, il fallait traverser le désert. Un soir les chauffeurs sont venus nous chercher pour nous conduire à la frontière de l’Algérie, on est montés dans des voitures pick-up, on a roulé une journée avant d’arriver près de la frontière du pays. Les chauffeurs nous ont laissés à 30 kilomètres. On a marché pour passer de l’autre côté. Avec mon frère, on est restés en Algérie quelques semaines avant d’aller en Libye.

On a traversé le désert comme on l’avait fait en quittant le Niger, sauf que c’était encore pire. Parce que quand les Libyens attrapent les noirs ils les enferment dans des maisons abandonnées dans le désert. Pour sortir il faut payer de l’argent.

On est restés un mois et demi en Libye, on dormait dans des maisons abandonnées, éloignées de la ville. Moi je ne sortais pas parce qu’ils agressent les noirs là-bas. C’est les adultes qui sortaient pour aller acheter à manger ou pour aller chercher du travail.
Mamadou nous a payé la traversée. Un soir les Arabes sont venus pour nous amener à la mer. C’était en septembre 2021, ils étaient armés.
On était environ 80 personnes. Ils nous ont fait monter dans un bateau gonflable et le capitaine a démarré, on a navigué 2 jours en mer. Il n’y avait plus de nourriture, ni d’eau. Le bateau s’est percé. L’eau a commencé à rentrer. Après quelques heures le moteur s’est arrêté, j’étais à côté de mon ami. On avait peur, sans savoir ce qui allait se passer. On est restés comme ça à moitié morts longtemps avant que les secours arrivent, 3 personnes étaient déjà mortes. Quand les secours sont arrivés, ils ont séparé les mineurs et les majeurs. Du coup ils m’ont séparé de mon frère. Je suis resté seul avec les autres mineurs. Ils nous ont amenés au camp de Lampeduza où on est restés plus de 2 semaines avant qu’ils nous emmènent dans un camp de la Croix Rouge. Pendant tout ce temps je me renseignais sur mon ami Mamadou, j’ai demandé aux personnes qui travaillaient là-bas, ils m’ont répondu qu’ils ne s’occupaient pas des majeurs. Je n’ai plus eu de nouvelles et depuis je ne l’ai jamais revu.

Je suis resté en Italie 2 mois avant de venir France. J’ai quitté l’Italie parce qu’on ne se comprenait pas avec les éducateurs, ils ne parlaient pas français et moi je ne parle pas l’italien. Alors, avec un ami guinéen mineur on a décidé de venir en France au moins je parle français. On a pris la route pour la France.

Je suis arrivé à Nice puis de Nice à Marseille, en train. A la gare j’ai rencontré une femme bénévole qui m’a dit d’aller à la station de police où les différentes associations viennent chercher les mineurs non accompagnés. On m’a emmené passer la nuit dans un foyer. Le monsieur qui gère le foyer a conseillé à ceux qui avaient des extraits de naissance sur eux d’aller à Nîmes, parce qu’il n’y avait pas assez de place dans ce foyer marseillais. Alors je suis venu à Nîmes où j’ai rencontré Muriel, une femme qui gérait un foyer. Cette femme m’a accompagné au Département. J’ai trouvé des jeunes là-bas. Au Département ils ont examiné nos documents et ils nous ont donné une carte pour aller à Acotel où ils logent les mineurs en attendant leurs évaluations. J’ai passé 2 semaines avant d’être évalué. Après qu’ils aient confirmé que j’étais mineur, ils m’ont transféré à Uzès dans l’association Pluriels, chargée des MNA par l’Aide sociale à l’enfance. Là, j’ai eu la chance de rencontrer des éducateurs qui m’ont beaucoup aidé et qui m’aident toujours. Des bénévoles qui m’ont donné des cours de rattrapage dans toutes les matières, l’association CCARU qui est là pour aider les étrangers dans tous les domaines et m’ont proposé le parrainage.
Actuellement je suis en contrat d’apprentissage CAP à Nîmes dans une entreprise d’électricité industrielle qui s’appelle SOBELEC.

Je remercie mon Patron Dominique BEILLOT pour sa confiance, ses encouragements et sa compréhension envers moi.

CONCLUSION

Cette année je vais passer mon diplôme CAP. Dans l’avenir je souhaite faire un BP, devenir un bon professionnel, me marier et avoir des enfants.

Je remercie toutes les personnes qui m’ont aidé de près et de loin et qui continuent toujours. Je sais que sans eux, peut-être je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Je remercie les conférences du Temple qui nous ont permis de nous exprimer devant vous.

Enfin je remercie la France, le pays des Droits de l’Homme, qui m’a accueilli. J’espère accomplir de grandes choses ici.