L’autorité indépendante s’inquiète d’une instrumentalisation du droit au séjour et craint une loi inefficace face aux difficultés administratives croissantes subies par les étrangers.
Par Julia Pascual Publié le 23 février 2023 à 00h00
« Des points de préoccupation importants. » C’est ainsi que la Défenseure des droits, Claire Hédon, résume son avis sur le projet de loi immigration que le gouvernement entend faire examiner au Parlement à partir de la fin du mois de mars. Dans un avis consultatif qui devait être rendu public le 23 février, et dont Le Monde a pris connaissance, l’autorité indépendante estime que le texte repose sur des constats non étayés tels que l’échec de l’intégration ou encore l’accélération des flux migratoires, nourrissant le débat public de « représentations erronées, voire discriminatoires ». En outre, remarque la Défenseure, depuis les années 1970, « une trentaine de réformes législatives ont poursuivi les mêmes finalités », sans prouver leur succès. Elles auraient surtout complexifié le droit et généré des difficultés administratives croissantes.
Ainsi le droit des étrangers est devenu, entre 2019 et 2022, le premier motif de saisine du Défenseur des droits, devant l’accès aux prestations sociales. Cela concerne « essentiellement l’obtention de rendez-vous [en préfecture], les difficultés en lien avec la dématérialisation des guichets et les délais d’instruction excessifs [des demandes de titre] ». Une situation qui s’explique avant tout par un manque de moyens des services de l’Etat.
Sur ce point, le projet de loi n’apporte pas de piste d’amélioration, considère la Défenseure. Au contraire, il « instrumentalise » le droit au séjour pour sanctionner un défaut d’intégration ou des comportements menaçant l’ordre public. C’est le cas lorsque le projet de loi prévoit de conditionner la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel à la maîtrise d’un certain niveau de français. « C’est une inversion du lien entre séjour et intégration. L’intégration devient un préalable alors que la stabilité administrative devrait être la première condition à une intégration réussie, soulignent les services du Défenseur des droits auprès du Monde. Ça s’inscrit dans une tendance de fond de durcissement de l’accès au séjour. »
« Large pouvoir discrétionnaire de l’administration »
De même, le gouvernement entend faire sauter des protections à l’éloignement, en particulier celles applicables aux étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans ou résidant en France depuis plus de vingt ans. Ceux-ci ne peuvent être expulsés qu’en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, de terrorisme ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Le projet de loi élargit ces possibilités au cas de « menace grave pour l’ordre public » quand l’étranger « a déjà fait l’objet d’une condamnation définitive » pour des faits passibles de dix ans de prison ou en récidive de faits passibles de cinq ans de prison.
« Jusque-là, on regardait la peine prononcée et désormais, on regardera la peine encourue, souligne l’entourage de la Défenseure. Cela pose un problème en matière d’individualisation de la peine et ouvre un large pouvoir discrétionnaire de l’administration. »
La Défenseure des droits s’inquiète aussi de la généralisation du recours à des audiences délocalisées des tribunaux pour les étrangers en rétention, ou que les audiences devant un juge unique deviennent la règle à la Cour nationale du droit d’asile, sous prétexte d’accélérer les procédures. Quant à la simplification du contentieux des étrangers, souhaitée par la Défenseure, « elle n’est pas pensée, c’est un toilettage », évacue l’entourage de Mme Hédon.
Même les points sur lesquels le gouvernement entendait capitaliser des soutiens à gauche sont critiqués. L’autorité indépendante épingle ainsi un « progrès inabouti », à propos de l’interdiction de la rétention des mineurs. Circonscrite aux mineurs de moins de 16 ans et prévue pour n’entrer en vigueur qu’en 2025, cette mesure ne permet pas, selon la Défenseure, une mise en conformité avec les conventions internationales, alors que la France a déjà été condamnée huit fois par la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est sur la création d’un titre de séjour « métiers en tension », destiné aux travailleurs sans papiers dans les secteurs en pénurie de main-d’œuvre, que le Défenseur des droits note une avancée. Avec le projet de loi, la régularisation par le travail serait de plein droit et non plus soumise à l’appréciation discrétionnaire des préfectures. De même, elle ne nécessitera plus le soutien de l’employeur. Mais l’autorité invite le gouvernement à aller plus loin, en ne se limitant pas aux secteurs en tension ou au salariat, en permettant aux travailleurs non déclarés d’y accéder s’ils font la preuve de leur emploi malgré l’absence de fiche de paie, ou encore en supprimant la condition d’ancienneté dans le poste (fixée à huit fiches de paie par le projet de loi) pour ne pas contraindre le sans-papiers à subir une période nécessaire de travail illégal.
Pour le rapport « avis au Parlement » dans son intégralité (14 pages), voici le lien d’accès :
https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21582